Une variante inédite et une contremarque à Apamée sur l’Oronte (Syrie) par Christian LAUWERS1

Résumé : cet article vise à ajouter deux variantes au corpus des monnaies frappées à Apamée sur l’Oronte. La première est une drachme d’Antiochos VI se distinguant des drachmes déjà répertoriées (HOUGHTON Groupe XX) par l’ajout d’une étoile à gauche de la tête du roi. La seconde ajoute une date au corpus des bronzes Dionysos/thyrse (RPC I, 4352) frappés à Apamée dans les dernières décennies du Ier siècle av. J.-C. et contremarqués d’une tête de Tychè.

Une variante d’une drachme d’Antiochos VI

Toujours en quête de monnaies frappées à Apamée, avec l’objectif plus ou moins lointain de publier une étude approfondie de ce monnayage, nous avons eu la chance de pouvoir acquérir dans une vente de F.-R. Künker 2 une variante encore inédite d’une drachme d’Antiochos VI. Cette monnaie se distingue des drachmes publiées dans Seleucid Coins 3 par la présence d’une étoile dans le champ gauche, derrière la tête du jeune roi. Le marchand n’ignorait pas qu’il vendait une variante inédite, et il signalait dans sa notice la présence de cette même étoile sur des tétradrachmes d’Antiochos VI frappés à Antioche et Apamée. Mis en éveil par cette première drachme à l’étoile, nous avons pu en repérer une seconde, où l’étoile est moins visible, frappée avec un autre coin de droit, en vente chez Palmyra heritage, Inc 4. Le monogramme qui se trouve au revers de cette monnaie, entre les jambes d’Apollon, est le même sur les deux pièces. Il nous permet de classer la drachme à l’étoile dans le Groupe XX de Houghton 5, et de la dater de 144/3, seconde année des émissions monétaires d’Antichos VI à Apamée.
En 145/4 av. J.-C, le jeune Antiochos VI, fils d’Alexandre Ier Balas, fut porté sur le trône par Diodote Tryphon, chef de l’armée séleucide casernée à Apamée. L’année suivante, Tryphon s’empara d’Antioche et en fit sa capitale. En 142/1, Antiochos VI disparut, peut-être éliminé par Tryphon, qui se proclama roi. L’attribution à Apamée de monnaies au nom d’Antiochos VI se base sur cette séquence historique, sur les dates inscrites à l’exergue du revers des monnaies, ainsi que sur des arguments iconographiques 6. Dionysos, ainsi que plusieurs de ses attributs, la panthère, le thyrse, la grappe de raisins et le canthare, sont représentés, soit comme type principal, soit comme symbole secondaire, sur le monnayage d’Antiochos VI – qui adopta le nom de ce dieu parmi ses épithètes. La tête de Dionysos, le thyrse et la grappe de raisins réapparaissent ensuite sur une série de monnaies de bronze frappées dans le dernier tiers du Ier siècle av. J.-C. et portant l’ethnique ΑΠΑΜΕΩΝ. Les numismates ont inféré de cette présence récurrente de Dionysos sur les monnaies d’Apamée l’existence d’un lien privilégié, depuis l’époque séleucide, entre le dieu et la cité. Cependant, aucun texte antique n’en témoigne et les fouilles d’Apamée n’ont à ce jour révélé ni bâtiment, ni statue de culte, ni inscription, permettant de confirmer ce lien. Sur nos deux drachmes comme sur le tétradrachme, l’étoile se compose de huit rayons. Sur le tétradrachme, le centre de l’étoile est matérialisé par un point, absent sur les drachmes. Une étoile à huit rayons apparaît également comme différent dans le champ droit du revers des monnaies de bronze à l’éléphant d’Antiochos VI émises à Antioche, parallèlement à d’autres différents, la palme et la corne d’abondance. Il serait intellectuellement satisfaisant de pouvoir rattacher ces symboles secondaires à des événements précis, ou d’y reconnaître des marques d’ateliers ou des signatures de magistrats ou de responsables d’émissions monétaires. En l’absence de document écrit, il faut renoncer à ce type de spéculation 7. Les monnayages hellénistiques présentent en effet un très grand nombre de symboles secondaires, environ 300 pour les seuls règnes d’Alexandre le Grand et de Philippe III Arrhidée, et une centaine pour les Séleucides. L’étoile est parmi les plus courants de ces symboles 8. Elle a servi de différent sur des monnaies de la plupart des rois séleucides.

Catalogue

1-2. Antiochos VI, drachme, Apamée, 144/3 av.
J.-C. Av. Tête diadémée et radiée d’Antiochos VI à droite. Derrière la tête, à gauche, étoile à 8 rayons. Rv. ΒΑΣΙΛΕΩΣ ΑΝΤΙΟΧΟΥ à droite, ΕΠΙΦΑΝΟΥΣ ΔΙΟΝΥΣΟΥ à gauche, entourant Apollon assis à gauche sur l’Omphalos, tenant une flèche de la main droite et s’appuyant sur un arc de la main gauche. Dans le champ gauche, grappe de raisins. Monogramme entre les jambes d’Apollon. La date à l’exergue est hors flan. HOUGHTON 1992, Groupe XX ; SC 2011.2, variante inédite avec l’étoile (fig. 1 et 2).

3. Antiochos VI, tétradrachme, Apamée, 144/3 av. J.-C. Av. Tête diadémée et radiée d’Antiochos VI à droite. Derrière le cou, à gauche, étoile à 8 rayons. Rv. ΒΑΣΙΛΕΩΣ ΑΝΤΙΟΧΟΥ en deux lignes en haut, ΕΠΙΦΑΝΟΥΣ ΔΙΟΝΥΣΟΥ en deux lignes en bas, les Dioscures à cheval chargeant à gauche, tenant des lances horizontales, dans une couronne dionysiaque de lauriers, de lierre et de feuilles de vigne. Sous les chevaux, date : ΘΞΡ (Ère séleucide 169). Dans le champ gauche, thyrse. Dans le champ droit, en haut, ΤΡΥ, au milieu, ΠΙ, en bas, monogramme . Trésor de Gaziantep, CH X, n° 1899. HOUGHTON 1992, Groupe XVIII ; SC 2010.4.b, variante (fig. 3)

4. Antiochos VI, bronze serratus, dénomination B, Antioche. Av. Tête radiée, diadémée et couronnée de lierre d’Antiochos VI à droite. Rv. ΒΑΣΙΛΕΩΣ ΑΝΤΙΟΧΟΥ – ΕΠΙΦΑΝΟΥΣ ΔΙΟΝΥΣΟΥ au-dessus et en-dessous d’un éléphant. ΣΤΑ dans le champen haut à droite du revers, étoile dans le champ droit. Trou de centrage. SC 2006 (fig. 4).

2. Une contremarque

Notre quête des monnaies d’Apamée nous a également permis d’acquérir une monnaie de bronze à l’effigie de Dionysos contremarquée d’une tête de Tychè 9. La date d’émission de cette pièce est bien lisible, ΓΡΣ, soit 20/19 av. J.-C 10. Cette date n’était pas encore répertoriée pour une monnaie d’Apamée portant cette contremarque. Les exemplaires précédemment publiés sont tous, comme le nôtre, du type Dionysos/thyrse.

– Dans la collection Hunter est mentionné un exemplaire daté ΕΡΣ, 18/17 av. J.-C. (Hunter Vol. III, p. 192, n° 15. Cette monnaie est illustrée dans le SNG Hunterian Vol. II, pl. CCXX, n° 3143).

– Christopher Howgego, dans son ouvrage consacré aux monnaies impériales grecques contremarquées, signale six exemplaires 11 : l’un daté ΕΡΣ, 17 av. J.-C. – c’est celui de la collection Hunter –, deux datés ΓΠΣ, 30/29 av. J.-C., et trois sans date.

– Le RPC I répertorie des exemplaires frappés aux deux dates mentionnées par Howgego, et y ajoute un exemplaire daté ΔΤ (9/8 av. J.-C.)12. Nos recherches nous ont également permis de repérer trois autres exemplaires vendus en ligne. Un seul porte une date reconnaissable. Le corpus de ces monnaies d’Apamée contremarquées d’un buste de Tychè compte donc un minimum de huit exemplaires, les six répertoriés par Howgego, plus un exemplaire daté ΔΤ et un daté ΓΡΣ. Nous avons pu réunir six illustrations.

Catalogue

1. Bronze, Apamée, dénomination B. Av. Tête couronnée de lierre du jeune Dionysos à droite. Sur le cou, tête de Tychè tourelée à droite. Rv. ΑΠΑΜΕΙΩΝ ΤΗΣ ΙΕΡΑΣ ΚΑΙ ΑΣΥΛΟΥ, thyrse. Date ΕΡΣ, 18/17 av. J.-C. Exemplaire Hunter Vol. III, p. 192, n° 15 = SNG Hunterian, 3143. RPC I, 4352 (fig. 5).

2. Bronze, Apamée, dénomination B. Av. : Même description. HOWGEGO 201. Howgego ne donne pas d’illustration du revers, mais il renvoie à Hunter, n° 15 (ici n° 1), bien qu’il s’agisse d’un autre exemplaire (fig. 6)

3. Bronze, Apamée, dénomination B. Av. Même description. Rv. ΑΠΑΜΕΙΩΝ ΤΗΣ ΙΕΡΑΣ ΚΑΙ ΑΣΥΛΟΥ, thyrse. Date ΓΡΣ= 20/19 av. J.-C. (Nouvelle date pour cette contremarque). RPC I, 4351 (fig. 7).

4. Bronze, Apamée, dénomination B. Av. Même description. Rv. ΑΠΑΜΕΙΩΝ ΤΗΣ ΙΕΡΑΣ ΚΑΙ ΑΣΥΛΟΥ [ΑΣΥΛΟΥ ou ΑΥΤΟΝΟΜΟΥ ?], thyrse. Date illisible. Entre 30/29 et 9/8 av. J.-C. RPC I, 4347-4352. Vauctions 274, 15/12/2011, Lot 26 (fig. 8).

5 et 6. Bronze, Apamée, dénomination B. Même description. Le Ε appartenant à la date est visible sur l’exemplaire 5. Le fragment de lettre visible après l’Ε convient à un Ρ, mais non à un Π, ce qui semble indiquer un exemplaire supplémentaire datant de 18/7 ( ΕΡΣ). Monnaies vendues sur eBay (fig. 9 et 10).

Howgego considère cette contremarque comme «perhaps indicative of a lower denomination» 13. Cette interprétation est envisageable. Dans le monde romain, il existe des cas avérés de contremarques destinées à donner aux monnaies une valeur faciale inférieure à leur valeur d’origine. C’est le cas par exemple de bronzes usés ou d’imitation, qui ont reçu la contremarque DVP(ondivs), AS ou SE(mis), qui en divisait la valeur par deux 14. Dans le monde grec, on est plus coutumier de contremarques qui rehaussent la valeur faciale des
monnaies, afin de compenser l’inflation. L’atelier monétaire d’Apamée frappait à la même
époque que ces bronzes Dionysos/thyrse pesant près de 8 grammes (dénomination B), des monnaies de bronze Tychè/Athéna pesant environ 4 grammes (dénomination D). On connaît pour une seule année, de peu postérieure à la dernière émission des bronzes Dionysos/thyrse, une émission de bronzes Auguste/Tychè d’environ 7 grammes (dénomination
B). Il est possible que les monnaies au buste de Dionysos aient été contremarquées afin
de leur conférer la même valeur que des monnaies portant le buste de Tychè comme type principal, mais dans ce cas, lesquelles ? Les dénominations inférieures, qui ont été frappées à diverses reprises, ou bien les monnaies augustéennes dont la seule émission attestée date de 4/3 av. J.-C., et qui devaient, s’il faut se baser sur leur poids et leur diamètre, avoir la même valeur que les monnaies contremarquées ? Dans le premier cas, les monnaies Dionysos/thyrse auraient été dévaluées, peut-être en raison de leur importante usure. Dans
le second, la contremarque aurait visé à les maintenir en circulation à leur valeur faciale originale, en dépit de cette usure prononcée.

1. Apamée, bronze, dénomination D. Av. : Buste voilé et tourelé de Tychè à droite. Rv. : [ΑΠΑΜΕΩΝ ΤΗΣ] ΙΕΡΑΣ ΚΑΙ ΑΣΥΛΟΥ, Athéna debout à gauche, tenant une Nikè de la main droite, une lance de la main gauche, un bouclier à ses pieds. Date ΒΜΕ = 31/30 av. J.-C. À l’exergue, Ν. RPC I, 4364 (fig. 11).

2. Apamée, bronze, dénomination B. Av. : Tête laurée d’Auguste à droite. Rv. ΑΠΑΜΕΩΝ ΤΗΣ ΙΕΡΑΣ [ΚΑΙ ΑΣΥΛΟΥ], buste voilé et tourelé de Tychè à droite. Date ΗΚ = 4/3 av. J.-C.15 RPC I, 4373 (fig. 12).

Tychè est représentée sur les monnaies civiques de bronze frappées à Apamée en 150/149 av. J.-C., puis depuis l’an 7 de l’ère pompéienne, 58/57 av. J.-C., jusque sous Auguste en 4/3 av. J.-C. et sous Tibère en 14/15 ap. J.-C. L’usure des monnaies contremarquées indique qu’elles ont circulé au moins quelques années après leur date d’émission, le terminus post quem étant 9/8 av. J.-C. Il est donc probable qu’elles aient été contremarquées à une époque où Apamée ne frappait plus monnaie que très sporadiquement (une seule année attestée sous Auguste et Tibère, deux sous Claude), et était approvisionnée en numéraire par l’atelier d’Antioche.

1. Cabinet des médailles, Bibliothèque royale de Belgique. Doctorant en archéologie, KULeuven, dans le cadre du PAI Comparing regionality and sustainability in Pisidia, Boeotia, Picenum and northwestern Gaul between Iron and Middle Ages (1000 BC-1000 AD) financé par BELSPO : christian.lauwers@kbr.be

2. Fritz-Rudolf Künker GmbH & Co. KG, eLive Auction 31 du 29 octobre 2014, lot n° 121.

3. SC 2011.2.

4. En ligne le 10/06/2015.

5. HOUGHTON 1992, p. 131.

6. MØRKHOLM 1983 ; HOUGHTON 1992 ; IOSSIF-LORBER 2010.

7. de CALLATAŸ 2012.

8. PRICE 1991, p. 565-566.

Dates d’émission des monnaies d’Apamée Dionysos/thyrse et de celles portant la tête de Tychè (En gras, les dates des monnaies contremarquées)
Fig. 1
Fig. 2
Fig. 3
Fig. 4
Détails Fig. 1-4

Fig. 1 et 2 – Antiochos VI, drachme, variante inédite et détail de l’étoile.

Fig. 3 – Antiochos VI, tétradrachme et détail de l’étoile.

Fig. 4 – Antiochos VI, bronze à l’éléphant et détail de l’étoile.

9. Maxim Shick, Jérusalem, le 1/06/2015.
Notre n° 3.

10. Toutes ces dates sont libellées d’après l’ère séleucide, qui commence le 1er Dios (7 octobre) 312 av. J.-C., jour de la victoire de Séleucos Ier sur Démétrios Poliorcète lors de la bataille de Gaza.

11. HOWGEGO 1985, n° 201, p. 142 et Planche 9.

12. RPC I, n° 4347, 4352 et 4353, p. 633.

13. HOWGEGO 1985, n° 201, p. 142.

14. GIARD 1975, p. 92.

15. L’an 28 de l’ère d’Actium, qui commence en 31 av. J.-C.

Fig. 5
Fig. 6
Fig. 7
Fig. 8

Fig. 5 à 8 – Bronze Dionysos/thyrse, dénomination B, avec le buste de Tychè en contremarque.

Fig. 9
Fig. 10
Fig. 11
Fig. 12

Fig. 9 à 10 – Bronze Dionysos/thyrse, dénomination B, avec le buste de Tychè en contremarque.

Fig. 11 – Bronze Tychè/Athéna.

Fig. 12 – Bronze Auguste/Tychè.