In Memoriam, Jacques Schoonheyt (1934-2016)

J.-Schoonheyt

Jacques Alexandre Schoonheyt nous a quittés le 28 septembre 2016, dans sa quatre-vingt deuxième année. Ainsi, le Cercle d’Études Numismatiques a perdu, en l’espace de quelques mois, deux de ses anciens présidents.
Né le 25 avril 1934, Jacques Schoonheyt a connu aux ACEC – acronyme des « Ateliers de constructions électriques de Charleroi », créés en 1881 et disparus sous ce nom en 1989 – une longue carrière professionnelle entièrement liée à sa formation d’ingénieur.
Issu de l’Institut technique Chomé Wyns à Bruxelles, il poursuivit sa formation en région parisienne au Centre Européen d’Éducation Permanente (CEDEP) de Fontainebleau.
Après avoir assumé pendant cinq années (1981-1986) la direction générale d’une filiale des ACEC à Lille, il devint en 1986 le délégué général des mêmes ACEC au Zaire, devenu depuis la République Démocratique du Congo. Mais ce n’est pas à cette occasion que Jacques contracta le virus de la monnaie « non conventionnelle », puisque le premier texte qu’il consacra à ce sujet alors largement marginalisé date de 1976 1. Cette brève étude traitant de la fonction de la monnaie peut être considérée comme le document fondateur de ce que sera sa méthode dans les années suivantes. Jacques Schoonheyt fut en effet le génial créateur d’un « arbre de décision », mettant en évidence de manière visuelle, sous forme de grand tableau totalisant vingt-quatre « cases » ordonnées selon quatre niveaux, les caractères intrinsèques multiples de la monnaie dite « non conventionnelle » 2. Il refusait en effet, et avec la plus grande vigueur, le statut de « monnaie primitive » généralement accordé à ces objets.
Jacques Schoonheyt a publié dix articles et de nombreuses recensions dans le BCEN sur un total de plus de soixante textes 3; sa première contribution date de 1967 et traite du numéraire de Charles-Quint 4. On retrouve au cours des années suivantes différentes notices relatives au monnayage des anciens Pays-Bas mais également du royaume de Belgique.
Sa première étude se rapportant à son nouveau domaine de recherche paraît en 1981, sous le titre Monnaies non conventionnelles de l’Égypte pharaonique 5. Les années suivantes voient la rédaction d’autres textes sur le même thème : Les croisettes du Katanga 6, Le frai des Kārşāpana et finalement, en 2001, les Moyens d’échange métalliques et unités pondérales ayant précédé la naissance de la monnaie 8. Tous les trois ont pour caractéristique une approche métrologique faisant bien entendu usage des statistiques : la patte de l’ingénieur s’y fait bien évidemment sentir.
Sa notoriété auprès du monde savant, attestée par près d’une centaine de conférences et communications dans des congrès nationaux et internationaux, l’ont fait naturellement désigner comme coauteur, avec J. Rivallain et J.-M. Servet, des chapitres « Monnaies africaines » du Survey of Numismatics Research édités à l’occasion des colloques de Berlin en 1997 9, de Madrid en 2003 10 et de Glasgow en 2009 11.
À côté de son intérêt purement scientifique, Jacques Schoonheyt fut un inlassable collectionneur qui parcourut le monde à la recherche d’objets monétaires à une époque où ces artefacts, négligés par les collectionneurs et forcément rares dans le commerce, étaient difficiles à réunir. Du Canada à l’Afrique, de l’Asie à l’Océanie, il a constitué un remarquable ensemble que la Belgique n’a pas jugé utile d’intégrer d’une manière ou d’une autre dans son patrimoine. À sa décharge, il faut sans doute rappeler l’importance des collections réunies par le Musée royal de l’Afrique centrale à Tervuren. Leur fonds est quasi exhaustif en ce qui concerne la région en question et, d’une manière plus générale, l’Afrique subsaharienne. D’autre part, le Cabinet des Médailles disposait déjà d’un ensemble non négligeable de monnaies non conventionnelles africaines mais également originaires d’autres parties du monde, une collection récemment mise en valeur par l’Académie royale des Sciences d’Outremer, sous la houlette de Pierre Petit.
Le fonds Schoonheyt, couvrant une période allant des alentours de 2000 av. J.-C. au début du XXe siècle, fut donc intégré aux collections de la Banque de France, avec comme condition l’édition d’un catalogue. Celui-ci fut à la fois le dernier travail de Jacques, et surtout son magnum opus dans tous les sens du terme, un véritable testament scientifique. Ses 4000 ans de moyens d’échanges furent publiés en 2013 à Bruxelles par l’éditeur Jan Martens & Marot en collaboration avec la Banque de France. Il s’agit d’un livre d’art remarquablement illustré, comptant 286 pages et préfacé par François de Callataÿ.
D’un abord affable, Jacques Schoonheyt était doué d’un sens de l’humour, plutôt « pince-sans-rire », que nous appréciions beaucoup. Véritable encyclopédie vivante, c’était un plaisir de l’écouter disserter sur les innombrables sujets dont il dominait à la fois les tenants et les aboutissants. Il était surtout doué d’une remarquable vue synthétique qui lui permettait de mettre en relation, dans certains de leurs usages, des objets de formes, d’origines et de dates bien différentes.
Jacques Schoonheyt a occupé le poste de président du CEN de février 1976 à février 1979. Son épouse Éliane, qui l’accompagnait dans tous ses déplacements, a géré pendant de nombreuses années les finances de notre cercle en tant que trésorière. Jacques a lui-même occupé le poste de trésorier au sein de la Société royale de Numismatique de Belgique. Il fut chargé de la logistique du XIème Congrès International de Numismatique qui s’est tenu à Bruxelles en septembre 1991. Il fut nommé chevalier de l’Ordre de la Couronne en 1989.

Jacques et Éliane ont eu trois enfants, Marc, Anne et Dominique, et deux petits-enfants. Aucun n’a suivi les traces de leur père, même si Anne Schoonheyt est sortie de l’Université libre de Bruxelles avec un diplôme en Histoire de l’Art et Archéologie.

Nous ne saurions mieux conclure cet In Memoriam qu’en citant François de Callataÿ dans sa préface aux 4000 ans de moyens d’échange :

« L’œuvre trahit l’homme, dit-on. En l’occurrence, on retrouve dans ce livre deux traits de la personnalité de son auteur : l’ingénieur bien sûr – celui qui classe et ordonne – ; mais pour le bonheur du lecteur, l’ingénieur n’a nullement étouffé le fureteur que sa curiosité rend avide de récits, d’histoires ramenées de loin […]. Le dépaysement est bien au rendez-vous ».

Jean-Marc Doyen

1. Monnayage conventionnel ou non, BCEN 1976/4, p. 76-81.

2. L’arbre de décision sur les moyens d’échange, RN 2001, p. 33-36 ; avec N. KLÜSSENDORF, Die Klassifikation von Tauschmitteln durch den « Entscheidungsbaum », JfN 61, 2011, p. 299-309.

3. On trouvera une bibliographie complète de J. Schoonheyt sur le site de la Société royale de Numismatique de Belgique : http://numisbel.be/Schoonheyt.htm

4. Un point d’interrogation à propos d’une double mite de Charles-Quint, BCEN 1967/2, p. 26-27.

5. BCEN 1981/1, p. 1-15. Une première notice se rapportant à l’Égypte pharaonique a été publiée dans la RBN, 1980, p. 263.

6. RBN 1991, p. 141-157.

7. RBN 1998, p. 99-105.

8. RBN 2001, p. 167-177.

9. Monnaies africaines (avec J. RIVALLAIN & J.-M. SERVET), dans le Survey of Numismatic Research 1990-1995, Berlin, 1997, p. 565-570.

10. Monnaies africaines (avec J. RIVALLAIN), dans le Survey of Numismatic Research 1996-2001, Madrid, 2003, p. 627-630.

11. Monnaies africaines (avec J. RIVALLAIN), dans le Survey of Numismatic Research 2002-2007, Glasgow, 2009, p. 585-587.