Baer – Graveur d’une intaille au portrait d’Henri IV, par Hadrien Rambach

Baer - Portrait d'Henry Unton

Un dénommé « Baer », à l’époque de la Révolution, était graveur en pierres fines du comte d’Artois. Son nom se retrouve dans les ouvrages de glyptique, mais son oeuvre reste inconnu, à l’exception d’une intaille en cornaline à l’effigie du roi Henri IV, une pierre reproduite par Tassie dès avant 1791 et republiée ici en détails. C’est grâce à ce terminus post quem que, en la quasi-absence d’information sur l’artiste, ce portrait peut être attribué aux années 1770-1780 durant lesquelles survint un renouveau d’affection pour le premier des Bourbon.

« Baer, quai de Conti, vis-à-vis le Pont-Neuf, célèbre graveur en pierres fines, de Mgr. Comte d’Artois, grave supérieurement les antiques, les chiffres & devises sur chrystaux, le cachet & le portrait d’après nature »1.
Cette note brève se trouve dans un livre de 1791, que seul André Girodie semble avoir cité, dans sa courte notice sur l’artiste2.
Ce Baer – graveur en pierres fines – reste peu connu3.
Leonard Forrer le répertorie d’après Ernest Babelon qui en parle d’après Jean-François Leturcq 4. Les notes de ce graveur-collectionneur-héritier sont la seule source habituellement utilisée à son sujet. « Bien que les portes de l’Académie fussent ouvertes aux graveurs en pierres fines après l’admission de Guay [en 1747], il nous faut descendre jusqu’en 1793 pour trouver un nouvel exemple d’entrée d’un graveur à l’Académie, et pour rencontrer des ouvrages de gravures en pierres fines aux Salons.
Au Salon de 1793 : Baër, demeurant en face du Pont-Neuf, du côté de la rue de Thionville ; le livret ne détaille pas les ouvrages exposés par lui. Raspe cite de cet artiste un portrait de Henri IV ; je possède aussi une cornaline gravée en creux sur les deux faces avec doubles sujets et devises signée BAER F »5.

Une troisième oeuvre gravée par Baer est connue, un cachet à l’effigie de Napoléon Ier – cette oeuvre appartenait au vicomte P. de Bussière lorsqu’elle fut exposée à Strasbourg en 18936. Le catalogue de cette exposition est particulièrement précieux, car il nous indique qu’il s’agit de « Baer, de Sélestat, graveur du roi Louis XVI »7.
La ville de Sélestat fait partie du département du Bas-Rhin, ce qui – associé à son nom – suggère une origine alsacienne de l’artiste.
« Je crois que si cet artiste est peu connu, il ne faut pas accuser la postérité d’ingratitude à son égard ». Cette opinion, exprimée par Leturcq, fut reprise aveuglément par Babelon8. Pourtant, ce jugement sommaire semble injuste, à en croire la pierre à l’effigie de Henri IV – récemment redécouverte et illustrée ici (fig. 1-4).
La cornaline, orange foncé, mesure 19 x 17 mm et est sertie dans un encadrement raffiné, en or doublé partiellement émaillé, qui mesure 41 x 38 mm. Le portrait est typique de l’iconographie du roi Henri IV (1589-1610) : un grand front, le cou orné d’une importante fraise fermée par un noeud à l’arrière (à moins qu’il ne s’agisse d’une boucle en bas de ses cheveux longs), une veste richement brodée, mais sans col d’hermine, bandeau à l’épaule. Il est complètement de profil, alors que la plupart des portraits peints contemporains le montrent de trois-quarts.

Le portrait s’inspire certainement de l’une des versions du portrait du roi en pied par Frans II Pourbus (1569- 1622), « aiant un habit de velours noir ciselé de la forme de ceux des Cent-Suisses avec un ceinturon de la meme étofe, une longue épée & une fraise. Il a la Croix de l’Ordre [du Saint-Esprit] pendante au col, comme on la portoit anciennement à la manière des Evêques » pour reprendre une description de 1727 (fig. 9)9.
Ce portrait sur cornaline de grande taille possède certes la naïveté des portraits postérieurs au XVIIe s. 10, mais il ne fait pas mauvaise figure aux côtés du fameux camée qui appartenait à Mme de Pompadour (fig. 5-6)11. Leonard Forrer le décrit comme « d’après Coldoré », confondant Olivier Codoré12 avec Julien de Fontenay : on sait que ce dernier était graveur du roi, et qu’il en exécuta le portrait, mais la remarque de Forrer ne fait pas sens en l’absence de pierre signée de lui 13.

« Raspe cite de cet artiste un portrait de Henri IV »14. Leturcq avait raison de noter cela, car cet élément est primordial pour dater l’intaille de Baer : il s’agit d’un portrait d’Henri IV effectué au XVIIIe s. – sous l’Ancien Régime. L’inclusion de la pierre dans ce volume publié en 1791 indique que cette dernière est plus ancienne que cela : nous avons là un terminus ante quem15. Sans prendre grand risque, nous pouvons supposer que la pierre fut gravée avant le début de la Révolution française, car Raspe liste les gemmes dont Tassie proposait les reproductions à la vente et il avait probablement fallu une longue période pour que Tassie en obtienne un moulage à copier.
Malheureusement, nous ne savons pas à quelle date précise elle fut gravée, ni quels furent ses propriétaires jusque maintenant. En revanche, la qualité de l’encadrement dans lequel est sertie l’intaille nous indique qu’elle était très estimée, et sa forme qu’elle ornait probablement une boîte (à priser ?). En revanche, le fait qu’il s’agisse d’or doublé, et non massif, est inhabituel et se démarque du genre de monture typique des collectionneurs d’intailles de l’époque, qui auraient probablement favorisé une bague.

Cette intaille n’est pas l’unique pierre contemporaine reproduite par Tassie, loin s’en faut, mais elles ne sont tout de même qu’en minorité car le fond de la collection de Tassie était le groupe formé par le baron Philipp von Stosch (1691-1757) ; figurer dans le recueil de Raspe, notamment pour une oeuvre contemporaine, est certainement signe de qualité – tant de l’oeuvre que du graveur et/ou du possesseur16.

Du vivant du roi Henri IV, et probablement dans les années qui suivirent sa mort, de multiples portraits furent réalisés – en camées et en peintures. Une oeuvre intéressante à ce sujet est un tableau anonyme de c.1596, qui comprend au-dessus du poignet gauche la représentation d’un camée d’Henri IV serti d’or et de diamants tables (fig. 7)18.
À une date plus tardive, au XIXe s., l’amour porté pour « Henri le Grand » est bien connu 19 : le peuple appréciait la légende du « bon roi Henri », paternel et soucieux de son peuple, les auteurs romantiques le célébraient20, sa statue équestre sur le Pont-Neuf avait été rétablie dès le retour de la Monarchie en France21. L’information précieuse, que cette intaille date d’avant 1791, souligne une fois encore l’importance des empreintes Tassie pour la recherche en glyptique : les pierres à l’effigie d’Henri IV furent, pour la plupart, médiocrement22 gravées au XIXe s. dans un contexte de soutien au prétendant Henri V, comte de Chambord 23. Certaines néanmoins, comme celle illustrée, sont de qualité (fig. 8). L’intaille de Baer se démarque donc, tant par sa qualité que par sa date.
Le choix du sujet est-il le résultat d’une commande ou bien d’une décision de l’artiste – en réponse à une mode24 ?
En 1774, la comédie La Partie de chasse de Henri IV, et sa chanson « Vive Henri IV ! », avaient obtenues un grand succès25. En 1775, des bagues au portrait d’Henri IV étaient proposées par le Marchand Bijoutier de la Reine – établi comme Baer en face du Pont-Neuf26. Citons aussi en exemples une belle tapisserie de 1777, qui fut reproduite en 1787 27, et une gravure médiocre de 1788 (fig. 10-11). Quant au roi d’Angleterre, qui avait hérité d’un « Hen 4 of France » non serti – inventorié dès 1763, il acquit de Thomas Gray une « head of Henry the Fourth » pour £ 5 5 s le 13 janvier 1789 28.
Le roi Henri IV était devenu populaire, plus en particulier que le roi Louis XVI et son épouse autrichienne. Il faut sans doute voir dans la présence d’émail noir sur la monture l’expression d’un deuil29 : un fidèle royaliste a-t-il fait sertir la pierre postérieurement, et ce portrait d’Henri IV – fondateur de la dynastie des Bourbons – serait-il un hommage post-mortem au roi Louis XVI ?

L’intaille de Baer prouve une fois de plus l’état encore fragmentaire de nos connaissances, et combien la recherche en science glyptique a encore de l’avenir. La présence dans les recueils de moulages de Cades, Denh, Lippert, Paoletti et Tassie sont des éléments précieux – tant pour dater les pierres « modernes » que pour dater la découverte des pierres antiques30. De même que les historiens d’art profitent des recherches des historiens, nous espérons que ce bref article pourra contribuer à la connaissance et à l’image d’Henri IV au cours des siècles. Et nous souhaitons qu’un jour prochain verra l’établissement d’une véritable notice biographique de Baer – dont l’identité (prénom, dates, etc.) nous échappe toujours.

Notes

*Nous remercions Mathilde Avisseau-Broustet, Jean-Marc Doyen, Ulf Hansson, Gabriella Tassinari et Hélène Verlet de leur assistance précieuse.
1ROZE DE CHANTOISEAU 1791, p. 117 (non numérotée). Le “comte d’Artois” est Charles-Philippe de France (1757-1836), frère des rois Louis XVI et Louis XVIII, roi lui-même sous le nom de Charles X de 1824 à 1830.
2GIRODIE 1909. Girodie (directeur des Notes d’Art et d’Archéologie à Paris) avait aussi proposé – en vain – une notice à E. Sitzmann pour son Dictionnaire de biographie des hommes célèbres de l’Alsace, Rixheim 1909-1910, 2 vols. Girodie note que Baer, le graveur en pierres fines, ne doit pas être confondu avec l’orfèvre strasbourgeois Jean-Frédéric Baer (1724-1794).
3Le Cabinet des Médailles de la Bibliothèque nationale de France ne possède aucune pierre signée de Baer.
4LETURCQ 1873, p. 192 ; BABELON 1894, p. 311 ; BABELON 1897, p. CIX ; BABELON 1902, p. 219 ; FORRER 1904-1930, vol. I p. 111, vol. VII, p. 38.
5La pierre double face ne se retrouve pas dans le catalogue de la vente de la collection Leturcq par Sotheby, les 17-20 juin 1874. La « rue de Thionville » où il logeait n’est pas la rue actuellement ainsi nommée (Paris 19ème) mais la rue Dauphine (Paris 6ème), qui porta ce nom de 1792 à 1814.
6Le propriétaire en était probablement le frère de Mélanie de Pourtalès, le vicomte Paul Renouard de Bussière (1827-1907).

Baer - Intaille

Fig. 1Intaille en cornaline signée BAER F., avant 1791, 41 x 38 mm monture-comprise. Collection privée, Londres. Photo © M. Tursi.
Fig. 2Dos de l’intaille de Baer. Photo © M. Tursi.
Fig. 3Impression par Lucy Jenkins de l’intaille de Baer, septembre 2014, argent. Photo © H. Rambach.
Fig. 4Impression par James Tassie de l’intaille de Baer, avant 1791, soufre rouge. Victoria & Albert Museum, Londres. Photo © The Beazley Archive.

Baer - Portrait d'Henri IV
Fig - 5
Baer - Portrait d'Henri IV
Fig - 6

Fig. 5Planche de la Suite d’estampes d’après les pierres de Jacques Guay. Musée national du château de Pau, inv. P665. Photo © R.-G. Ojéda / R.M.N.
Fig. 6 – Camée en sardoine, avant 1764, 45 x 35 mm monture-comprise. Cabinet des Médailles, Paris, inv. Babelon 788. Photo © M. Avisseau-Broustet.

Baer - Portrait d'Henry Unton
Fig - 7
Baer - Henri IV
Baer - Henri IV

Fig. 7 Portrait de Sir Henry Unton (c.1558-1596), huile sur panneau, 74 x 163 cm. National Portrait Gallery, Londres, inv. NPG 710. Photo © NPG.
Fig. 8 – Camée en onyx, début des années 1870, 24 x 24 x 4 mm. Du lot 277 de la vente de la collection Bosqui (formée dans les années 1920-1940) par EVE enchères, à Paris le 20 juin 2012. Collection privée, Londres. Photo © M. Tursi.
Fig. 9 – Frans II Pourbus (1569-1622), huile sur panneau de 39 x 25 cm, signée et datée 1610. Musée du Louvre, Paris, inv. 1708. Photo © J. Schormans / Réunion des musées nationaux.
Fig. 10 – Pierre François Cozette (1714-1801), tapisserie réalisée en la manufacture des Gobelins, signée et datée 1777, 90 x 77 cm. Musée national du château, Fontainebleau, inv. F.834c. Photo © O. Blaise.
Fig. 11 – Aubin, gravure à l’aquatinte et au burin, publiée à Paris par Chéreau en 1788, 185 x 147 mm. Musée national du château, Pau, inv. P.60.51.15. Photo © R.-G. Ojéda / R.M.N.